
Les vers de terre : qu'est-ce que ça vaut?
Les avantages des vers de terre dans les sols agricoles et comment en tirer profit
Les vers de terre sont en quelque sorte les ingénieurs de l'écosystème du sol. Dans la plupart des écosystèmes terrestres, ils représentent la biomasse souterraine la plus abondante1, et comme les castors construisent des habitats pour permettre à plusieurs autres espèces de croître, les vers de terre font fonctionner l'écosystème du sol. Ils contribuent à décomposer les résidus végétaux et à les incorporer au sol, en favorisant leur contact étroit avec les microorganismes qui en poursuivent la décomposition et permettent à leurs éléments nutritifs d'être accessibles. Ils facilitent aussi le contact entre les résidus et les particules de sol auxquelles la matière organique peut être adsorbée et incorporée sous forme de microagrégats. Leur fouissage forme des tunnels dans le sol qui améliorent l'aération et le mouvement de l'eau et créent de l'espace pour la croissance des racines et des autres organismes.
On a constaté que les vers de terre améliorent la structure du sol (augmentation de la stabilité et réduction du ruissellement), minéralisent et stabilisent la matière organique, accroissent la disponibilité des éléments nutritifs, et ont même un effet sur la santé des plantes en induisant la production de substances analogues aux hormones. Mais il reste que de loin le principal avantage des vers de terre pour les cultures est leur effet sur les éléments nutritifs.
Recyclage des éléments nutritifs
Les vers de terre libèrent les éléments nutritifs qui sont retenus dans les résidus végétaux et la matière organique du sol. Les vers qui vivent à la surface (vers épigés) et ceux qui creusent des galeries verticales en profondeur (vers anéciques) se nourrissent presque exclusivement de la litière à la surface du sol, alors que les vers qui vivent dans les couches supérieures du sol (vers endogés) se nourrissent de la matière organique du sol à divers stades de décomposition. Les vers anéciques en particulier jouent un rôle extrêmement important dans l'incorporation des résidus. Une étude réalisée en Ohio a montré qu'une population d'environ 100 individus par m2 de Lumbricus terrestris pouvait ingérer annuellement 840 kg/ha (750 lb/acre) de résidus de maïs2. Les populations de vers de terre dans les sols agricoles atteignent habituellement entre 100 et 350 individus par m2 3. Les résidus de culture, la matière organique et les minéraux du sol sont mélangés dans le tube digestif des vers puis rejetés sous forme de turricules (aussi appelés tortillons).
Quel est l'apport fertilisant des turricules?
Les turricules de vers de terre (les excréments en fait) sont des zones très fertiles dans le sol. En s'alimentant, les vers concentrent des éléments de source organique et de terre meuble. Après analyse de 81 études totalisant 405 observations dans le cadre d'une méta-analyse de la fertilité relative des turricules de vers de terre et de la terre meuble, des chercheurs de l'université de Wageningen ont trouvé que les teneurs en carbone organique total (COT), en phosphore total (P) et en azote total (N) étaient de 40 à 48 % plus élevées dans les turricules de vers 4. La capacité d'échange cationique (CEC) était en moyenne 38 % plus élevée, semblable au COT, ce qui confirme l'effet important de la matière organique sur la CEC. Il s'agit d'effets de concentration, car les vers concentrent en effet les éléments provenant des résidus et du sol dans leurs turricules.
Des transformations se produisent aussi dans le tube digestif des vers et dans les turricules d'une grande richesse microbienne, ce qui a un effet sur la disponibilité des éléments nutritifs. En moyenne, la teneur en azote minéral est de 241 % plus élevée, et le P disponible est de 84 % supérieur dans les turricules que dans le reste du sol4. L'augmentation de l'azote minéral (assimilable par les plantes) est due à la décomposition de la matière organique. Par contre, les mécanismes propres au P sont plus compliqués. Dans une étude menée en 2019, Vos et ses collaborateurs 5 ont trouvé des différences significatives dans le P assimilable du sol et celui des turricules, lequel variait aussi selon les espèces de vers. Ultimement toutefois, tous les vers de terre ont contribué à augmenter la disponibilité du P (figure 1). Étant donné les quantités importantes de phosphore résiduel dans de nombreux sols ontariens, la disponibilité du P induite par l'activité des vers de terre pourrait être importante en présence de populations suffisamment abondantes. La même étude a aussi montré que le pH augmentait de manière significative dans les turricules de vers, permettant éventuellement de réduire les besoins d'apports en chaux (figure 2).
Figure 1. Phosphore assimilable dans les turricules de vers et dans la terre meuble. Les couleurs correspondent aux différentes catégories fonctionnelles de vers de terre (gris pâle : vers épigés; gris : vers endogés; gris foncé : vers anéciques). Source : Vos et coll., 2019.
Figure 2. pH des turricules de vers de terre et de la terre meuble. Les couleurs correspondent aux différentes catégories fonctionnelles de vers de terre (gris pâle : vers épigés; gris : vers endogés; gris foncé : vers anéciques). Source : Vos et coll., 2019.
Comment tirer profit des avantages procurés par les turricules de vers
Pour tirer pleinement profit des avantages procurés par l'effet des vers de terre sur le recyclage des éléments nutritifs et sur la fertilité du sol, il est nécessaire de créer des conditions propices à la croissance de leurs populations. L'un des faits les mieux établis en matière de gestion du sol, c'est que le travail du sol réduit les populations de vers de terre. Le labour intensif peut carrément tuer les vers de terre, les exposer à la dessication et aux prédateurs, détruire leurs tunnels et éliminer leur source de nourriture. Ceci est particulièrement vrai pour les vers qui vivent à la surface et pour ceux qui creusent des galeries verticales en profondeur. Ils peuvent être ainsi complètement absents des champs labourés selon des méthodes conventionnelles3. Une récente méta-analyse de l'effet du labour sur les populations de vers de terre a montré que l'abondance et la biomasse des vers de terre étaient respectivement de 137 % et 196 % plus élevées dans les systèmes culturaux sans travail du sol comparativement aux systèmes avec labour6. La majorité de ces hausses sont dues au réétablissement des vers anéciques (ceux qui font des galeries verticales en profondeur) 7, dont l'apport principal concerne la porosité du sol et le drainage et qui feront l'objet d'un autre article.
L'une des conclusions intéressantes de la méta-analyse de la fertilité relative des turricules de vers de terre est que l'apport fertilisant des vers augmente en présence de plantes. La hausse relative de la concentration en COT, par exemple, a été plus que le double en présence de racines vivantes. L'enrichissement relatif en azote assimilable a également été significativement plus élevé avec un pourcentage de 385 %. Outre l'accroissement de l'apport fertilisant des turricules de vers, une plus grande abondance de racines vivantes contribue avec le temps à augmenter le nombre de vers de terre. Selon une étude comparant les populations de vers dans différents systèmes culturaux, on a observé une moyenne de plus de 1000 vers par mètre carré dans les parcelles comportant un couvre-sol de trèfle8!
L'apport de matière organique sous forme de fumier ou de compost stimule aussi les populations de vers de terre et permet de mieux profiter des avantages procurés. Selon une étude comparant divers types d'amendements organiques, les champs avec apport de fumier, après deux ans et demi, présentaient les populations les plus élevées de vers de terre (800 à 900 individus par m2), alors que les parcelles témoins sans apport de matière organique affichaient les populations les plus basses (environ 150 individus par m2). Les champs avec apports de compost présentaient des valeurs intermédiaires (400 à 500 individus par m2)9.
Le bout du tunnel
À combien s'élève votre population de vers de terre? Il n'est pas nécessaire de creuser sur un mètre de profondeur dans le sol pour le savoir. Apportez une pelle dans le champ et bêchez un pied carré de sol de surface (6 à 8 pouces de profondeur). Si vous souhaitez convertir les valeurs obtenues en mètres carrés comme dans les publications scientifiques, multipliez le résultat par 11 (ou par 10,76 pour être plus précis). L'abondance en vers de terre est une mesure simple et représentative de la santé d'un sol et un indicateur de ce que votre sol peut apporter à vos cultures.
Toute réduction dans la profondeur du labour ainsi que dans son intensité ou sa fréquence sera profitable aux populations de vers de terre, tout comme l'apport de matière organique, surtout sous forme de fumier. Comme pour de nombreux autres aspects de la vie du sol, les recherches récentes suggèrent que de maximiser la présence de racines vivantes est le meilleur moyen de favoriser ces alliés que sont les vers de terre!
Références
- Lavelle P., Spain AV Soil Ecology, Kluwer Scientific Publications, Amsterdam, 2001.
- Bohlen P.J., Parmelee R.W., McCartney D.A. et Edwards C.A., Earthworm effects on carbon and nitrogen dynamics of surface litter in corn agroecosystems. Ecol Appl 7:1341-1349, 1997.
- Stroud J.L., Soil health pilot study in England: Outcomes from an on-farm earthworm survey. PLoS ONE 14(2 ): e0203909, 2019.
- Van Groenigen J.W., Van Groenigen K.J., Koopmans G.F., Stokkermans L., Vos H.M.J. et Lubbers, I.M., How fertile are earthworm casts? A meta-analysis. Geoderma 338 :525-535, 2019.
- Vos H.M.J., Koopmans G.F., Beezemer L., de Goede R.G.M., Hiemstra T. et Van Groenigen J.W., Large variations in readily-available phosphorus in casts of eight earthworm species are linked to cast properties. Soil Biol. Biochem, 38 :107583, 2019.
- Briones M.J.I. et Schmidt O., Conventional tillage decreases the abundance and biomass of earthworms and alters their community structure in a global meta-analysis, Glob, Chang. Biol. 23 :4396-441, 2017.
- Peigne J. Cannavaciuolo M., Gautronneau Y., Aveline A., Giteau J.L. et Cluzeau D., Earthworm populations under different tillage systems in organic farming, Soil Tillage Res 104 :207-214, 2009.
- Pelosi C., Bertrand M. et Roger-Estrade J., Earthworm community in conventional, organic and direct seeding with living mulch cropping systems, Agron Sustain Dev 29:287-295, 2009.
- Leroy B.L.M., Schmidt O., Van den Bossche A., Reheul D. et Moens M., Earthworm population dynamics as influenced by the quality of exogenous organic matter, Pedobiologia 5 2:139-150, 2008.
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Auteur : |
Sebastian Belliard, spécialiste
de la gestion des sols, grandes cultures/MAAARO |
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Date de création : | octobre 2019 |
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