Insectes nuisibles en production avicole biologique
Bon nombre de producteurs ont observé, à l'été 2013, un accroissement des populations d'insectes. À l'occasion, l'abondance d'insectes a provoqué des tensions entre voisins (populations élevées de mouches) ainsi qu'une augmentation des maladies (populations élevées de ténébrions). Certains croient que les conditions climatiques du printemps dernier et le temps chaud et humide de cet été jusqu'à maintenant pourraient être en partie responsables de la situation. L'infestation d'insectes constitue un problème pour la production avicole qu'il s'agisse ou non de production biologique. Dans le cadre du présent article, nous aborderons la biologie des mouches et des ténébrions ainsi que les méthodes de gestion et les mesures de lutte contre ces populations d'insectes.
Quelle que soit l'espèce d'insecte nuisible, il importe de comprendre sa biologie et de gérer les populations en tenant compte de leur cycle vital. La lutte antiparasitaire sera inefficace si l'on se contente d'appliquer des mesures routinières simplement parce que c'est plus pratique ainsi. Il importe aussi de prendre conscience que le problème va au-delà de ce qu'on peut constater, puisque de nombreux stades vitaux de l'insecte ne sont pas observables. Ainsi, les mouches adultes que l'on peut voir dans les poulaillers ne représentent que 15 % de la population totale de mouches. Si l'on ne tient pas compte de tous les stades du cycle vital dans le programme de lutte, on peut soudainement se retrouver avec une infestation lorsque les masses d'adultes apparaissent. Il est donc indispensable de comprendre les divers aspects de la reproduction des insectes ainsi que leur comportement, leur habitat et leur saisonnalité.
Alphitobius diaperinus, qu'on appelle aussi ténébrion, est l'un des insectes les plus répandus dans les poulaillers. Le ténébrion adulte est noir ou brun-noir et d'aspect luisant; il mesure environ 6 mm de longueur. Ses larves peuvent atteindre 1 cm de longueur avant de se métamorphoser. Le ténébrion des poulaillers est aussi parfois appelé petit ténébrion mat, ténébrion du champignon et en anglais lesser meal worm, litter beetle, shining black wheat beetle et black fungus beetle. Cet insecte mange habituellement du grain, mais les poulaillers offrent un habitat idéal à sa propagation, car il peut y survivre en se nourrissant de grains renversés sur le sol ou sur le fumier sous les conduites d'alimentation.
La survie de l'insecte à ce stade du cycle vital dépend de la température, de l'humidité et de la présence de nourriture, et les cycles peuvent durer de deux mois à 400 jours (fig.1). Pendant ce temps, les femelles peuvent pondre en moyenne 5 œufs par jours durant leur période de reproduction. Étant donné que de nombreux poulaillers abritent des milliers de ténébrions en même temps, le potentiel reproducteur de cet insecte est énorme en conditions optimales. Un nouvel adulte ténébrion peut apparaître 29 jours seulement après la ponte de l'œuf. Le pic d'éclosion des œufs de ténébrions se produit à une température de 30 C et à un taux d'humidité de 90 %. Après l'éclosion, les insectes peuvent demeurer au stade larvaire jusqu'à 133 jours. Les ténébrions qui viennent d'émerger sont rougeâtres et deviendront plus foncés avec le temps. Ils peuvent se reproduire presque tout de suite. À un moment donné du cycle du troupeau de volailles, les larves des ténébrions vont chercher des sites pour la pupaison et pour émerger de nouveau plus tard, ce qui peut coïncider avec l'arrivée du troupeau de volailles suivant. Lorsque les oiseaux sont expédiés à l'abattoir et que le poulailler est vidé, les ténébrions adultes vont se réfugier dans les murs et sous les planchers et eux aussi vont réapparaître.
Cycle vital du ténébrion
Cycle vital
œufs
- Non mobiles
- Les femelles pondent leurs œufs dans la litière,
et ils éclosent dans 45 à 100 jours ou plus
Larves
- Mobiles
- Enfouies dans le sol du poulailler et le matériel isolant
en vue de la pupaison dans 35 à 100 jours ou plus
Nymphes
- Non-mobiles
- Apparition de l'insecte dans 90 à 140 jours
Adultes
- Mobiles
- Vivent de 60 à 140 jours
- Produisent de 200 à 2000 œufs
*La durée dépend de la température et de l'humidité.
Les ténébrions représentent une menace économique pour les aviculteurs à plusieurs points de vue. Tout d'abord, ces insectes provoquent des dommages structuraux au matériel isolant des poulaillers lorsqu'ils se réfugient dans les murs en vue de la pupaison. Ces dommages peuvent réduire les propriétés isolantes du matériel. En se réfugiant dans des matériaux comme de la mousse de polystyrène, les ténébrions peuvent diminuer jusqu'à 30 % sa capacité isolante. En Géorgie, aux États-Unis, la détérioration du matériau isolant attribuable aux ténébrions peut occasionner jusqu'à 67 % d'augmentation des coûts énergétiques associés au maintien de la température adéquate du poulailler.
Deuxièmement, les ténébrions représentent une menace importante en matière de biosécurité. Comme leur durée de vie peut atteindre 400 jours, cela signifie qu'ils peuvent être présents durant le passage de plusieurs troupeaux de volailles. Les ténébrions sont des vecteurs connus de 60 maladies ou plus susceptibles de toucher les volailles, comme la maladie de Newcastle, l'influenza aviaire, la maladie de Marek, la bursite infectieuse, les Salmonella spp., 26 types pathogènes d'E. Coli, d'Eimeria spp., d'Aspergillus et les parasites responsables de la coccidiose ainsi que les nématodes. Les ténébrions adultes et les larves peuvent être vecteurs de maladies et transporter des agents pathogènes dans leurs intestins et sur leur corps. Des études ont montré que les ténébrions peuvent être porteurs d'E. coli jusqu'à 12 jours et de salmonelles jusqu'à 28 jours. Ces durées sont suffisantes pour infecter le troupeau suivant. À noter également que les larves infectées peuvent donner des adultes infectés.
La transmission de salmonelles des ténébrions aux poussins a été très documentée, et ces poussins vont transmettre la bactérie à d'autres. On a aussi démontré que les oiseaux peuvent s'infecter après l'ingestion d'un seul ténébrion contaminé. L'ingestion de ces ténébrions peut également nuire à la performance du troupeau. Comme les ténébrions se tiennent autour des conduites d'aliments et des mangeoires, les poussins et les poulettes choisissent souvent d'ingérer d'abord les ténébrions avant la moulée (fig. 2). Les insectes ingérés remplissent l'intestin des oiseaux de carapaces indigestes au lieu de nourriture, ce qui les incommode au moment de la défécation. De plus, les ténébrions sont des hôtes intermédiaires du ténia, ce qui peut réduire la performance du troupeau.
Figure 2: Récolte de ténébrions dans un poulailler de poulets à griller - Fourni par Jim Skinner
Dans les cas d'infestations graves, si les ténébrions ne trouvent pas suffisamment d'humidité dans leur environnement lorsque la teneur en humidité du poulailler est peu élevée, ils peuvent mordre les oiseaux autour du cloaque et des follicules des plumes. Ces morsures peuvent endommager les tissus et causer de l'infection. Les lésions occasionnées par les attaques de ténébrions peuvent ressembler aux symptômes de la leucose cutanée.
Les ténébrions peuvent être également problématiques pour la santé humaine. Les personnes continuellement exposées à des populations élevées de ténébrions peuvent développer des allergies. Les relations avec le voisinage peuvent aussi être compromises dans les régions infestées de ténébrions, puisque ces derniers peuvent rester dans le fumier épandu. Comme ce sont des insectes nocturnes qui sont attirés par la lumière et la chaleur, ils peuvent ramper hors des champs vers les zones résidentielles adjacentes à la recherche d'un nouvel habitat.
L'élimination des populations de ténébrions est presque impossible. Bien que beaucoup de producteurs pensent que les hivers canadiens éliminent ces insectes, les ténébrions se montrent étonnamment résistants. Durant les hivers froids, les ténébrions peuvent entrer en état de « surfusion », et leurs liquides organiques sont alors en mesure de résister au gel, ce qui permet à cet insecte tropical de survivre malgré le froid. Les sucres dissous dans l'hémolymphe permettent à l'insecte de survivre aux longs mois d'hiver en l'absence d'oiseaux dans le poulailler puisque leur métabolisme fonctionne à un rythme beaucoup plus lent. C'est en automne qu'on voit le plus souvent les pires infestations de ténébrions au moment où ils cherchent un abri et de la chaleur avec la baisse des températures extérieures. S'ils ne trouvent pas ces conditions, ils peuvent être en mesure de survivre dans cet état d'hibernation.
En production avicole biologique, les choix de lutte contre les ténébrions sont limités. On peut toutefois avoir recours à des méthodes culturales ou à des moyens de lutte biologiques. Les méthodes culturales consistent entre autres à assurer un entretien mécanique de l'équipement afin de minimiser l'excès d'humidité dans la litière, causée par les fuites dans les conduites d'eau. Par ailleurs, l'amélioration de la ventilation peut réduire la reproduction des ténébrions dans le poulailler. Le retrait de la litière entre les différents lots de volailles peut aussi aider à réduire les populations d'insectes. De plus, il est recommandé de ne pas partager de matériel avec les voisins et entre les poulaillers pour prévenir la transmission mécanique des ténébrions.
Les méthodes de lutte biologiques sont habituellement peu efficaces, sauf quelques exceptions. Les insectes prédateurs, les parasitoïdes et les nématodes n'ont pas été des choix commercialement viables pour les aviculteurs biologiques. La terre de diatomées (sable de silice) est constituée de minuscules diatomées à l'aspect rugueux qui altèrent la cuticule cireuse des ténébrions lorsqu'ils marchent dessus. Ils deviennent alors vulnérables au dessèchement et à l'infection. Puisque les ténébrions ont besoin de marcher sur les diatomées pour que ces dernières soient efficaces, le produit doit être épandu aux endroits très fréquentés par les ténébrions, sur le plancher, le long des murs et des poteaux et dans les fissures du ciment.
L'agent biologique qui semble le plus efficace contre les ténébrions est le champignon pathogène, Beauveria bassinana. Ce champignon infecte les stades juvéniles et adultes du ténébrion. Les spores du champignon adhèrent à l'insecte et germent, et les hyphes s'étendent dans la carapace causant ainsi sa mort.
Musca domestica, la mouche domestique ou mouche commune, est une espèce nuisible courante dans toute forme de production avicole. Les adultes mesurent moins de 3/4 cm de longueur et ne mordent pas (fig. 3). Les mouches domestiques se reproduisent dans de la matière organique tiède et humide, et les femelles pondent de 500 à 1000 œufs au cours de leur vie qui dure de trois à quatre semaines. Le cycle vital (de l'œuf à l'œuf) de la mouche commune est en moyenne de 21 jours, mais il peut être plus court ou plus long si les températures sont respectivement plus élevées ou moins élevées. Les œufs éclosent en 24 heures. Les juvéniles, ou larves, traversent trois stades larvaires (mues successives) en 4 à 7 jours et passent ensuite au stade adulte.
Figure 3 :Cycle vital de la mouche domestique
Les mouches, tout comme les ténébrions, peuvent représenter une grave menace pour la biosécurité, car elles sont des vecteurs de maladies causées par Salmonella enteritidis et E. coli. Une étude a été réalisée sur des mouches qui demeuraient porteuses de salmonelles jusqu'à plus de 7 jours. Les mouches peuvent aussi être des vecteurs mécaniques de beaucoup d'autres maladies.
Les mouches domestiques peuvent nuire aux volailles et aux humains aussi. Des infestations importantes de mouches peuvent être une source de stress pour les volailles, ce qui entraîne des pertes de production, qu'il s'agisse de poulets à griller ou de pondeuses. Pour le producteur, des populations élevées de mouches peuvent rendre le poulailler inconfortable et causer certaines tensions avec le voisinage. Les mouches peuvent aussi être une source de problème en matière de salubrité des aliments, puisque les œufs fraîchement pondus par les poules sont humides et chauds, ce qui les rend attrayants pour les mouches adultes. Ces mouches peuvent transmettre des agents pathogènes à la surface des œufs, qui peuvent s'introduire dans l'œuf lorsque celui-ci se refroidit.
Il existe des méthodes culturales, physiques et biologiques de lutte contre les infestations de mouches. L'efficacité de la lutte contre les mouches dépend de la capacité à localiser les endroits où les mouches se reproduisent et à les éliminer.
Les méthodes culturales visent à réduire l'humidité dans la litière ou à modifier son pH. Les mouches pondent leurs œufs dans de la matière organique dont la teneur en humidité se situe entre 20 et 80 %, un pourcentage de 60 à 80 % étant optimal. Plus le fumier est sec, moins on aura de mouches. Par conséquent, la surveillance des fuites d'eau et des déversements et le maintien d'une ventilation adéquate peuvent avoir un effet majeur sur la population de mouches dans le poulailler. Il faut aussi réduire au minimum les sites de reproduction et d'alimentation autour de la propriété comme les endroits où des végétaux se décomposent, les sites où sont déposées les ordures, les accumulations de moulée, les tas de fumier et les herbes hautes. L'acide borique, l'acide citrique et la chaux vont modifier le pH de la litière et la rendre inhospitalière pour les mouches. Toutefois, ces produits ne sont recommandés que si le fumier n'est pas en contact avec les volailles (planchers lattés). Autrement, des conditions acides ou caustiques peuvent causer des brûlures aux coussinets plantaires des oiseaux.
Les méthodes de lutte physiques comprennent les pièges
adhésifs, les pièges à sacs et les pièges
lumineux (attractifs et électrocuteurs) pour réduire
les populations adultes, ainsi qu'un compostage approprié
du fumier pour tuer les larves. Les pièges adhésifs
doivent être examinés et remplacés fréquemment
à mesure qu'ils se remplissent de mouches mortes ou deviennent
couverts de poussière et de duvet. Les pièges à
sacs doivent également être examinés afin de
s'assurer qu'ils ne se remplissent pas trop. Les pièges lumineux
utilisant des rayons UV pour attirer les mouches deviennent moins
efficaces lorsqu'ils sont sales. Faire preuve de vigilance lorsqu'on
utilise des pièges lumineux, en raison des risques de court-circuit
et d'incendie. Par ailleurs, on connaît encore peu de choses
sur les effets des rayons UV sur le comportement des volailles.
Durant le compostage du fumier, les températures internes
du tas peuvent dépasser 55 °C, ce qui est assez chaud
pour tuer les larves de mouches. Toutefois, l'extérieur du
tas peut être beaucoup plus frais, ce qui incite les larves
à migrer vers l'extérieur et à compléter
ainsi leur cycle vital. En mélangeant le tas et en le retournant,
on va s'assurer que l'extérieur du tas (et les larves et
nymphes de mouches) demeure suffisamment chaud.
Les agents de lutte biologiques comprennent notamment les guêpes parasitoïdes, les nématodes, les acariens, les histers, les perce-oreilles et certains champignons. Lorsqu'on utilise des espèces biologiques, le programme de lutte doit être mis en place tôt en saison, car les populations de prédateurs ne peuvent pas augmenter aussi rapidement que les populations de mouches. Il est également important de poursuivre les traitements avec les agents de lutte biologique même en l'absence de mouches adultes visibles afin de garder les populations au minimum.
Il existe différentes manières de lutter efficacement contre les ténébrions et les mouches sans l'utilisation de pesticides de synthèse. Toutefois, il faut posséder une compréhension rudimentaire de la biologie des insectes, des méthodes de dépistage et des méthodes de lutte culturales et biologiques. Selon Jim Skinner, directeur de Terregena Inc., la lutte antiparasitaire est une science. Il ne faut pas procéder par tâtonnement, et seule une solution scientifique nous permettra d'aller dans la direction voulue.
Pour plus de renseignements :
Sans frais : 1 877 424-1300
Local : 519 826-4047
Courriel : ag.info.omafra@ontario.ca
Auteur : | Al Dam, spécialiste de l'aviculture et Kathleen Taylor, adjointe de recherche en aviculture/MAAO et MAR |
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Date de création : | 23 juillet 2013 |
Dernière révision : | 23 juillet 2013 |